L’ACTION PRECEDE LE DROIT OU L’INJUSTICE INSTITUTIONNALISEE ? L’EXEMPLE DE LA FIDUCIA EN DROIT ROMAIN

Authors: Caroline Decoster

ABSTRACT

« Pas de droit sans action ». Cet emblématique principe traversa l’histoire juridique de Rome : là où il n’y avait pas d’action, il ne pouvait y avoir de droit. Un droit individuel n’existait que par sa sanction judiciaire. Premier monument législatif de Rome, la Loi des XII tables met en place cinq actions, nommées actions de la loi1, qui permettaient de couvrir les principaux besoins juridiques de la Cité du Ve siècle avant notre ère, une Rome dans laquelle les patrimoines et les fortunes étaient essentiellement foncières. La conquête et le développement de l’Empire changèrent considérablement la donne ; Rome devint un empire commerçant. Cette évolution du contexte économique impacta, fort logiquement, la réalité juridique. Le monde des affaires devint foisonnant à travers tout l’Empire. De là, de nombreuses situations n’étaient plus couvertes par ces cinq actions. Usant de leur pragmatisme habituel, les Romains procédèrent à une réforme de la procédure par le biais de la Lex Aebutia2, loi qui introduisit la procédure formulaire. Grâce à elle, le préteur élargit son pouvoir créateur de droit ; en effet, c’est à lui que la Lex Aebutia confie la rédaction de la formule, désormais acte central de la procédure. Le préteur va alors l’utiliser pour couvrir des situations jusque-là inconnues du droit et, ainsi, le faire évoluer. La loi lui accordant une totale liberté d’organiser le procès, il peut prendre en considération des situations que le Droit civil a ignoré ou réglé imparfaitement, en octroyant une action3. Si l’adoption de la procédure formulaire assouplit notre principe, elle ne le remet pas en cause ; il demeure le fondement de toute procédure à Rome.
Le but de cette contribution n’est évidemment pas de questionner ce principe dans sa généralité, mais de l’interroger au prisme de certains mécanismes juridiques. Le mécanisme au coeur de notre propos sera la fiducie4. Celle-ci fut, sans doute, le premier contrat réel de bonne foi. Elle fut très utilisée à la période républicaine car elle devait couvrir tous les besoins juridiques pour lesquels le préteur créa, par la suite, d’autres contrats réels. Les sources juridiques, littéraires, ainsi que les actes de la pratique, nous montrent la très large variété de ses destinations. Elle était très prisée, notamment, en matière patrimoniale5. Pourtant, nous verrons qu’elle n’apparaît pas dans les Compilations de Justinien. Entretemps, la fiducie a donc totalement disparu. Nous allons voir si cette disparition peut être en lien avec l’application de notre principe « Pas de droit sans action ». En effet, la fiducie avait une structure particulière. Elle était composée de deux actes : le premier était une mancipation, un acte juridique permettant le transfert de la propriété d’une chose ; le second était un pacte fondé, non sur le droit, mais sur la fides. Cette structure même aurait-elle pu être cause d’injustice du fait de l’application de notre principe ? Nous allons essayer de déterminer si tel fut le cas en deux temps : d’abord en nous intéressant, de plus près, à la définition de la fiducie (I), puis en décryptant la dynamique de sa structure duale (II).

Keywords: Substantive rights and remedies - Roma law fiducia

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